[2054]
Photographie et taxidermie
« En tout climat, sous tout soleil, la Mort t'admire
En tes contorsions, risible Humanité,
Et souvent, comme toi, se parfumant de myrrhe,
Mêle son ironie à ton insanité ! »
Charles Baudelaire, Danse macabre
La série 2054 a été réalisée au cours d’une résidence artistique dans les ateliers de taxidermie du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris.
Pour des travaux personnels précédents, Clarisse Rebotier avait, en effet, photographié plusieurs fois les collections du Muséum ; et s’était interrogée sur la relation ambiguë que nous entretenons avec les animaux naturalisés (empaillés). Entre rejet et admiration pour ces animaux morts et qui semblent pourtant si vivants, la fascination que nous avons face aux animaux a questionné l’artiste. Elle a choisi de travailler avec des rats car c’est l’espèce avec laquelle nous entretenons un rapport des plus riches et problématiques : il cristallise le dégoût, l’attirance, l’identification et la peur.
Elle a ainsi récupéré une centaine de spécimens des laboratoires scientifiques et a commencé la genèse de 2054. Formée spécialement pour ce projet à la taxidermie, par le chef des ateliers, l’artiste a cherché avec lui à adapter les techniques de taxidermie muséale, dont les objectifs sont avant tout naturalistes, afin de trouver les moyens techniques d’exprimer des émotions et des sensations proprement humaines. Elle a ensuite créé seule des installations destinées aux 11 photographies de la série. Son interprétation du Radeau de la Méduse a par exemple nécessité 3 mois de travail.
Le résultat est une série frontale en tension entre tragique et comique qui parle directement au corps.
2054 est une série hors-normes qui questionne notre identité et ce qui fait notre condition d’être humain, par le biais du pas de côté, du décalage, et avec cette pointe d’humour et de fantaisie qui caractérise l’artiste.
Une atmosphère de fin du monde : des rats, aux airs humains — « trop humains » — errent seuls sur une Terre dévasté. Conjuguant humour et tragédie, ce memento mori satirique s’inspire des danses macabres et nous rappelle en creux à notre finitude. Parce que, même s’ils sont morts et se contorsionnent, ces rats ont un petit quelque chose de mignon... Ils sont comme nous : beaux et tragiques à la fois.
Mêlant la photographie argentique à une forme inédite de naturalisation, cette série a été réalisée lors d’une résidence en partenariat avec le taxidermiste du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris. L’artiste a créé une technique de « sculpture organique éphémère » que seule la photographie pouvait immortaliser. Le corps des animaux est maintenu en situation, pour un laps de temps très court avant de s’affaisser. La prise de vue doit ainsi être réalisée dans l’urgence pour capter les mises en scènes.
À l’image de ce monde abîmé dont il faudrait prendre soin, ces drôles de petits êtres fragiles sont réellement en suspend, à la limite de la disparition. Anticipation ironique? Sur une planète où le Vivant aurait disparu ?
Brigitte Trichet
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